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Naïade du pont de la Motte-Rouge

Est-ce que les seins des naïades du pont Général-de-la-Motte-Rouge portaient bonheur ?

La dernière rénovation du pont de la Motte-Rouge date de 2014. Ces travaux ont remis dans la mémoire de quelques Nantais une étrange coutume, consistant à palper les seins des deux naïades assoupies ornant la clé du pont. Depuis plus d'un siècle, ils avaient été tellement touchés que le lustre de la peinture avait disparu.

 

Á première vue, tout cela résultait d’un rituel grivois. L'explication semblait simple et logique, mais elle est peut-être un peu plus compliquée.

Naïade avant (vers 2010) la rénovation de 2014

Des seins à la peinture écaillée 

Sur la face intérieure des clés du pont de la Motte-Rouge, deux naïades sculptées se font face. Elles sont l’œuvre de Joseph Vallet (1841-1920), sculpteur originaire de Loire-Atlantique, surtout connu pour ses autels et ses statues religieuses.  

Avant la rénovation du pont en 2014, les passants pouvaient observer que la peinture des seins des naïades s’était fortement estompée. Pour obtenir un tel résultat, la cause ne pouvait être que d’innombrables palpations (pour visualiser une photographie de bonne qualité de l’une des naïades avant la rénovation, cliquer ici).

Mais qu’est-ce qui poussaient les Nantais, ou les Nantaises, à poser leurs mains à cet endroit ?

La première réponse qui vient en tête : les Nantais sont des polissons, et puisque ces deux sculptures se trouvent à portée de main, pourquoi se gêner…  

Certains, pour justifier leur geste, affirmaient que cela portait bonheur. Curieusement, ceux-là n’étaient pas forcément de mauvaise foi. 

Ainsi, un vieil habitant du quartier Saint-Félix, rencontré au tournant des années 2010 (et malheureusement décédé depuis), nous donna de cette « coutume » une explication allant dans ce sens, mais trouvant son origine dans une tradition plus ancienne. Est-elle vraie ? Peut-être. Peut-être pas. Elle mérite tout de même d'être rapportée.  

Naïade pont de la Motte-Rouge

Une naïade aujourd'hui

Naïade, après la rénovation de 2014

Détournement du culte rendu à Notre-Dame de Crée-Lait

Selon cet habitant du quartier Saint-Félix, et c’était ce que lui avait raconté sa mère lorsqu’il était enfant, les seins des naïades avaient effectivement la réputation de porter bonheur dans un cas précis.  

 

Si tant de mains s’étaient posées en ces endroits, la cause en était la résurgence d’une dévotion ancienne, rendue à Notre-Dame de Crée-Lait. 

Notre-Dame de Crée-Lait, c’est la Vierge Marie, la femme qui allaite le Christ, et lui fait ainsi don de la santé.  

Historiquement, le culte rendu à Notre-Dame de Crée-Lait était très répandu dans toute la Bretagne. Á Nantes, il avait pris un caractère très particulier pour des raisons liées au passé de la ville.  

Pendant des siècles, sur l’actuelle place Alexis Ricordeau, au bout de la Chaussée de la Madeleine, se dressait un petit calvaire. Ce monument avait à l’origine une vocation expiatoire. Il indiquait le lieu de l’exécution de Gilles de Rais. C’était là que le maréchal de France, ancien compagnon de Jeanne d’Arc, devenu alchimiste, sataniste et assassin d’enfants, avait été pendu, puis brûlé, en 1440, après s’être repenti publiquement de ses crimes. 

Ce calvaire était dédié à la Vierge Marie, à Saint Laud, et à Saint Gilles (le protecteur des enfants). Il était devenu progressivement un lieu de pèlerinage pour les nourrices et les femmes enceintes. Elles y venaient nombreuses, et de toutes les classes sociales, prier Notre Dame de Crée-Lait de leur donner un lait abondant, garantie de la bonne santé des nouveaux nés. 

Or, ce calvaire fut détruit vers 1860, pendant les travaux de reconstruction de l’Hôtel-Dieu (ses vestiges sont conservés au musée Dobrée).

Ainsi, les Nantaises ne purent plus pratiquer leur dévotion. C’était sans compter sur les lavandières des bords de l’Erdre.      

Après la construction du pont de la Motte Rouge, on en vit qui venaient apposer leurs mains sur les seins des naïades pour s’assurer un lait sain pour leur enfant. Elles ne tardèrent pas à être imitées par d’autres. 

Cette « coutume » perdura, discrètement, tout au long du vingtième siècle. Puis les lavandières disparurent. Le monde changea. Le temps estompa le souvenir des vieilles croyances. Seule persista l’idée que toucher ces seins-là portait bonheur… 

Est-ce qu'on le croit toujours ? Seule, la patine vert céladon des seins des naïades le révélera, au fil des ans. 

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